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      SCOLCA MEMORIA

      Haute Corse - Canton Golo Morosaglia

       

      Histoires, Anecdotes et autres Chroniques

        Perfetti Dominique

      Militaire

      Perfetti Dominique

      Né à Scolca le 9 décembre 1818

      Décédé à Sélestat le 9 mars 1915

      Fils de Perfetti Paul François et de Graziani Pia Marie

       

      Note Biographique sur PERFETTI Dominique par Alexandre DORLAN, Vice-Président de la SOCIÉTÉ SÉLESTADIENNE

      DES LETTRES, SCIENCES ET ARTS, Conseiller à la Cour d'Appel de Colmar (1922)

       

      Le capitaine Perfetti est à coup sûr une des figures les plus représentatives du Sélestat d'autrefois, d'esprit si militaire, en même temps que si accueillant pour les officiers retraités. Il y perpétuait au milieu de ses contemporains un âge, des sentiments, des habitudes depuis longtemps oubliés du plus grand nombre. Ce compatriote de Napoléon I, dont il gardait pieusement le souvenir, ce Corse aux cheveux plats comme lui, venu s'établir chez nous, loin de son île et restant à ce point fidèle à son pays d'adoption qu'il y passa plus de la moitié de sa longue vie, ce n'est pas un cas banal et rien qu'à ce titre mériterait déjà un souvenir.

      Mais il y a mieux et plus, Continuant la tradition de nos vieux chroniqueurs sélestadiens, il a laissé un journal du siège de Sélestat, auquel il prit une part des plus honorables et dont nous avous la bonne fortune de publier aujourd'hui le manuscrit. Avant de lire ces lignes le lecteur voudra connaître un peu mieux l'homme qui les a écrites.

      Dominique Perfetti naquit à Scolca (Corse) le 9 décembre 1818. Son père étant mort, alors qu'il n'avait que deux ans, l'éducation de l'orphelin fut confiée à son oncle maternel Dom Ursus Graziani, aumônier du célèbre pélerinage de Lavasina, puis au collège de Bastia.

      Engagé volontaire en 1837, il parcourut tous les grades de l'armée, où comme il le disait plaisamment, il avait utilisé 4 fusils, depuis l'antique fusil à pierre, jusqu'au chassepot. Sous-lieutenant le 27 mars 1849, il était nommé lieutenant le 5 mai 1853 au 24e léger commandé par le colonel Gondallier de Tugny et qui tenait garnison à Neuf-Brisacb. Le régiment détachait alors un bataillon à Sélestat. Le lieutenant Perfetti, qui appartenait à ce détachement, y fit la connaissance d'une jeune veuve. Madame Caroline Heinrich, fille d'un capitaine en retraite, M. Gobe, et d'une belle-sœur' de Schwilgué.

      Deux ans après, en 1855, le 24e Léger devenait le 996 Régiment d'Infanterie et l'année suivante était envoyé en Algérie où il faisait campagne en colonne mobile dans le sud et dans l'Aurès. :Entre temps, le 22 août 1860, M. Perfetti avait été nommé capitaine.

      En 1862 son régiment avec le colonel Lhérillier est envoyé au Mexique.

      Il y reste jusqu'en 1865. Le capitaine Perfetti se distingue à maintes reprises au cours de cette campagne. Il avait pris le fort de Guadalupe sans perdre un homme et conquis de haute lutte le fanion du général mexicain qui est déposé maintenant au musée de l'armée. Il éprouva néanmoins une vive déception de n'avoir pu participer à la brillante action de Cerro-del-Borrego dont l'honneur revint aux 2e et 86 compagnies de son bataillon, commandées par les capitaines DetrÎe et Leclerc, devenus plus tard généraux, alors que c'était sa compagnie (la Ire) qui avait été primitivement désignée pour cette attaque et qu'il avait assumé la responsabilité de tous ses préparatifs.

      Revenu peu après en France, il était en retraite depuis moins d'un an, quand éclata la guerre de 1870.

      Mandé à Strasbourg par le général Ducrot, celui-ci annonça à Perfetti son intention de lui confier le commandement des quatre batteries de la gardemobile qu'on organisait à Sélestat pour la défense de la place. Dans sa modestie il voulait s'y refuser, prétendant que, sortant de l'arme de l'infanterie, il ignorait le maniement du canon. Le général parvint à calmer ses scrupules et n'eut qu'à se féliciter de son choix, car le capitaine Perfetti s'acquitta de sa tâche avec une conscience, une ardeur et un dévolunent au dessus de tout éloge.° Ce fut lui qui tira le dernier coup de canon avant la reddition de la place.

      Emmené en captivité à Rastatt, il en revint le 10 mars 1871, et se fixa à Sélestat en dépit de la présence d'un ennemi détesté, dans l'espoir, alors unanimement partagé, d'une prompte délivrance.

      Elle se fit longtemps attendre. Il n'en vit que l'aube sanglante, puisqu 'il s'éteignit le 2 mars 1915 à l'âge de 97 ans dans ce même appartement de la place d'Armes où il était venu se fixer 47 ans auparavant.

      Il me semble, disait-il souvent aux amis de France qui venaient le visiter, que je suis encore en captivité. Il a été mieux et plus que cela. Il fut la sentinelle perdue qui fidèle à son poste attend patiemment sa relève. Il est mort, quand le bruit de la garde montante commençait à se faire entendre. Il pouvait partir en paix, car son rôle était terminé.

       

       

      Annuaire de la Société des Amis de la Bibliothèque de Sélestat (1951)

       

      M. Perfetti, né le 9 décembre 1818 à Scolca (Corse, après avoir fait campagne dans l'Aurès et au Mexique, où il se distingua à la prise du fort de Guadaloupe, était venu prendre sa retraite en 1867 à Sélestat, lorsque la guerre de 1870 éclata. Il reprit du service et fut appelé par le général Ducrot au commandement de la première batterie d'artillerie de la garde mobile pendant le siège de Sélestat, au cours duquel il se distingua par son courage et par son sang-froid. Après sa captivité à Rastatt, il revint se fixer à Sélestat où il est décédé le 9 mars 1915 à l'âge de 97 ans dans cette même maison qui l'avait reçu au lendemain de sa sortie de l'armée et qu'il ne devait plus quitter. Il est l'auteur d'une notice sur le siège de Sélestat rédigée en 1873 alors qu'il était âgé de 75 ans, d'après les notes de son journal de siège. Elle a été publiée dans le Bulletin de la société des lettres, sciences et arts en août 1924. M. Perfetti pratiquait avec une véritable maîtrise l'art de la sculpture sur bois, et son appartement sis au premier étage comprenait nombre de pièces d'un travail intéressant qui ont été dispersées à son décès. L'un des plus parfait comme exécution, une caisse en bois, est aujourd'hui la propriété d'un de ses petits-cousins, M. Pierre Kling, 22 rue Pierre Curie à Paris. A l'automne, M. Perfetti avait l'habitude de tailler des figures grotesques avec des marrons tombés des arbres de la promenade, qu'il distribuait ensuite à ses amis.

      NOTICE sur le SIÈGE de SÉLESTAT. 1er août - 24 octobre 1870 par D. PERFETTI, Commandant des batteries d'artillerie mobile.

      Rédigée en 1893, à l'âge de 75 ans, d'après les notes de son journal de siège.

       

      1ère PÉRIODE : SITUATION DE LA PLACE AVANT LA DÉCLARATION DE GUERRE EN 1870.

      La place de Sélestat, située sur l'Ill à 44 kilomètres de Strasbourg en un heptagone a été construite d'après les plans de Vauban en 1673 (L'ordre de fortifier Sélestat est du 16 novembre lb/o. Les travaux commencés aussitôt d'après les plans de l'ingénieur l'arade furent achevés au printemps de l'année suivante. Ce n'est que plus tard, le 27 décembre 1679, après l'achèvement du canal de Châtenois, creusé sur les indications de Vauban, que les remparts furent revêtus de pierres d'appareil.). Les côtés forts sont ceux qui font face à la forêt de la Chapelle, parce qu'ils peuvent être facilement inondés à une très grande distance ; du côté opposé, sur la route de Châtenois se trouvent les côtés faibles. Aussi, pour les renforcer, on avait construit des cavaliers sur les deux bastions, faisant face à la porte de Colmar et vers la porte de Strasbourg. La place de Sélestat était destinée, comme les autres places situées sur la frontière de l'Est, à empêcher les armées du nord de pénétrer en France, ou tout au moins à ralentir leur marche en les obligeant à en faire le siège pour s'en rendre maîtres. (A l'origine la fortification de Sélestat avait été décidée, afin d’assurer une jonction entre les postes de Lorraine et l’importante place de Vieux-Brisach, Que nous occupions en vertu du traité de Westphalie.) N'ayant plus rien à craindre de l'armée du maréchal de Mac-Mahon, complètement défaite à Frœschwiller, les Prussiens entreprirent immédiatement le siège de Strasbourg et successivement celui des autres petites places qui en dépendaient et qui n'avaient plus aucune importance sérieuse sur notre frontière.

      Déjà en 1867 le maréchal Niel, alors ministre de la guerre, dans une inspection qu'il fit de toutes nos places fortes, avait décidé que la place de Sélestat serait déclassée (Dorlan. Hist. arcli. et anecd. de Sélestat II. 539) et désignée pour être démolie. Néanmoins, et en attendant sa destruction, on continua à la conserver comme un poste militaire, sorte de sinécure pour un chef de bataillon du génie et son personnel, et entraînant comme conséquence forcée le maintien du commandant de la place et son état-major, ainsi que celui de l'artillerie.

      La place ayant été déclassée, les ouvrages extérieurs furent abandonnés et toutes les servitudes militaires supprimées. Le corps de la place resta seul en bon état d'entretien, mais sans être armé.

      L'artillerie cependant n'avait rien changé dans ses fonctions. Les arsenaux renfermaient plus de cent bouches à feu de tous calibres ; des projectiles en assez grande quantité, des poudres, des fusils à tabatière en nombre suffisant pour armer plus d'un bataillon et même des chassepots. Le Génie possédait dans ses magasins une réserve suffisante de matériaux pour parer aux besoins d'une mise en état de défense du corps de la place.

      M. le comte de Reinach, ancien chef d'escadrons de cuirassiers, âgé de 60 ans, commandait la place, aidé par deux adjudants : M. Bouin, chef d'escadron commandant l'artillerie, M. Cahen, chef de bataillon commandant le génie.

      La garnison de la place se composait de la manière suivante :

      10 Dépôt du 2e régiment de lanciers,

      20 99 99 6e M il M

      Effectif des deux dépôts: 100 cavaliers.

      3° le Batterie d'artillerie de la garde mobile 40 2e 99 M M M W M

      Ces deux batteries n'existaient que sur le papier et elles n'avaient que leurs capitaines.

      50 un bataillon de la garde mobile n'existant également que sur le papier.

      Noms des officiers nommés dans la garde mobile avant la déclaration de guerre à l'Allemagne :

      10 M. le Baron de Reinach de Werth, maire de Niedernai, conseiller général, nommé chef de bataillon le 25 octobre 1868 à la résidence de Sélestat. (Benoit Maximilien Félix baron de Reinach-Werth, qu'il ne faut p <'l confondre avec son cousin, le commandant de place, lequel était comte de Grandvelle-Foussemagne, avait été successivement officier de chasseurs à cheval, puis sous-préfet. Il était né en 1837.)

      20 M. Perfetti, capitaine, commandant la Ire batterie, venant du 9ge régiment d'infanterie, nommé le 24 avril 1869 à Sélestat.

      30 M. Stoffel, avocat, nommé le 14 août 1869. (Jules Stoffel, oncle de notre excellent maire, est mort juge au Tribunal civil de Ire instance de Nancy)

      Telle était la situation militaire de la place le 18 juillet 1870, jour où fut déclarée la guerre au roi de Prusse.

       

       

       

      2ème PÉRIODE : APRÈS LA DÉCLARATION DE GUERRE.

      C'est le 10 juillet 1870 que M. le Ministre de la guerre a donné ses ordres aux généraux commandant les divisions de procéder à la mobilisation de la garde mobile, en les investissant de pleins pouvoirs pour nommer tous les officiers nécessaires pour compléter les cadres de cette garde; le 16 seulement les ordres du ministre parvinrent à Sélestat.

      M. le Général Uhrich, du cadre de réserve, fut appelé au commandement de la 6e division à Strasbourg et chargé d'organiser la défense de toutes les places fortes comprises dans l'étendue de sa division. La mission du général était immense et d'autant plus difficile qu'il ne possédait pas les éléments indispensables pour résister à l'attaque d'un ennemi fort en nombre et en moyens d'action. Dans cette situation le général se borna à transmettre aux commandants des petites places fortes les ordres du Ministre de la guerre en les accompagnant de quelques timides instructions, mais il les laissait parfaitement libres d'agir comme ils le jugeraient convenable, en s'inspirant toujours du devoir et de l'intérêt de la patrie.

      Certes il aurait pu faire plus que de se contenter de transmettre des ordres ministériels à ses subordonnés, car il avait à sa disposition des officiers supérieurs jeunes et vigoureux, qu'il pouvait envoyer dans les petites places pour y remplir les fonctions de commandants supérieurs, et donner ainsi une plus grande vigueur à leur défense. Il ne le fit point; les vieux commandants de place restèrent accablés sous la responsabilité de la mission qui leur incombait devant un ennemi qui envahissait le sol de la patrie.

      Les ordres d'appel et de convocation de la garde-mobile pour la place de Sélestat indiquaient la date du 31 juillet pour les officiers et celle du 2 août pour les soldats. Le Général Uhrich nomma le 25 juillet tous les officiers qui manquaient dans les cadres de la garde mobile et les chefs de corps nommèrent les sous-officiers et brigadiers que les commandants de compagnie et de batteries leur proposèrent le 8 août. Il va sans dire que tous ces nouveaux promus ont été pris dans les rangs et parmi les jeunes gens qui composaient la gardemobile et qui n'avaient jamais servi, et par conséquent complètement étrangers au métier des armes et à la discipline militaire.

      On comprendra facilement que des cadres ainsi improvisés ne pouvaient donner à la garde-mobile une organisation de quelque valeur. L'instruction devenait difficile et même impossible et la discipline n'existait point, surtout dans les premiers jours. Grâce au dévoûment des anciens officiers qui avaient accepté des commandements dans cette garde et au concours de quelques anciens sous-officiers et soldats qui demandèrent à prendre part à la défense de la patrie, on commença l'instruction des soldats et les travaux de défense de la place. Après les nominations faites dans les divers grades d'officiers dans la gardemobile, voici quelle fut sa composition :

      le Batterie d'artillerie Perfetti, capitaine, venant du 99e régt. d'infanterie; Vatin, lieutenant en premier, avocat (Edouard Ya tiIl, devenu plus tard préfet, mort en janvier 1924 à Sélestat.); Bach, lieutenant en second, sans état.

      2e Batterie Stoffel, capitaine, avocat (Voir ci-dessus.) ; Person, lieutenant en premier, ancien sous-officier ; Rigaut, lieutenant en second, avocat. (Adolphe Rigaut. fils du président du Tribunal civil de Sélestat qui lügeait au 7 de la lre impasse de l'église, aujourd'hui rue de la bibliothèque.) Batteries venues de Strasbourg:

      3e Batterie: Juillière, capitaine, ancien adjudant; Bernheim, lieutenant en premier; Fiesselbrand, lieutenant en second.

      4e Batterie : Magnier, capitaine, ancien adjudant ; Arnold, lieutenant en premier ; Samuel, lieutenant en second.

      Les dix dernières batteries avaient été réunies à Strasbourg sous le commandement du chef de bataillon Heimann, ancien capitaine d'artillerie et les quatre premières sous les ordres du capitaine Perfetti avaient été concentrées à Sélestat pour procéder à l'armement de cette place.

      Le bataillon d'infanterie de la garde-mobile de Sélestat se composait de:

      M. le Baron de Reinach de Werth, chef de bataillon,

      le Compagnie: Raffara, capitaine, ancien sous-officier,

      2e „ Millet, capitaine, propriétaire,

      3e et 4e „ non organisées 5e „ Forget, capitaine, ancien sergent-major,

      6c „ Bohn, capitaine, sous-lieutenant de cavalerie démissionnaire,

      7e „ Schmidt, capitaine, ancien maréchal des logis aux Cent-Gardes,

      8e „ Stouvenot, capitaine, ancien maréchal des logis-chef des équipages de la garde impériale.

      Les lieutenants et sous-lieutenants furent nommés plus tard par le commandant de place.

      Pendant que les cadres de la garde-mobile se constituaient, les dépôts du 2" et 6e lanciers versaient dans les quatre batteries d'artillerie tous leurs cavaliers, dont les chevaux avaient été envoyés à Belfort. Ce renfort dans nos batteries avait produit un excellent effet, parce que ces hommes étaient déjà rompus au métier et à l'esprit de subordination.

      Au moment où l'artillerie allait entreprendre les travaux pour armer la place, un ordre du ministre de la guerre faisait partir le commandant Bouin pour Besançon et le remplaçait par M. Pinot, venant de l'armée de Metz. Ce changement que rien ne pouvait justifier à ce moment suprême produisit une fâcheuse impression dans l'esprit de la population et des troupes de la garnison, surtout après avoir vu à l'œuvre le commandant Pinot, venant de l'armée de Metz où il avait cessé de plaire à ses chefs directs, d'après certains bruits qui le suivirent dans son nouveau poste.

      Le 2 août arrivèrent à Sélestat tous les hommes inscrits sur les contrôles de la garde mobile et les commandants de compagnie et de batterie procédèrent à la formation de leur troupe dans le plus grand désordre, attendu que tous ces hommes arrivaient là sans savoir à quelle fraction ils appartenaient, les ordres de route ne portant aucune indication de ce genre. Il fallut chercher pendant quelques jours avant de trouver la place de tout ce monde, que les événements de la guerre avaient surpris et vivement surexcités.

      Les batteries d'artillerie ayant à leur tête d'anciens militaires, excepté la 2ème, furent promptement formées et purent au bout de trois jours commencer les travaux de défense et d'armement de la place. A ce moment une demi-batterie d'artillerie de l'armée arriva à Sélestat avec son cadre d'officiers et sous leur direction et sous les ordres d'officiers de la mobile, les travaux furent poussés activement et 35 pièces de canon furent mises sur les remparts et pourvues de munitions dans les petites poudrières (On en établit 28 de 1868 à 1870. Le projet primitif en prévoyait 35.) situées à côté des pièces.

      Une fois que tous les hommes furent réunis par compagnies et batteries, les commandants de ces unités furent invités à faire des propositions pour les places de lieutenants et sous-lieutenants ainsi que pour les grades de sous-officiers, caporaux et brigadiers.

      Les nominations des officiers, dont les propositions avaient été fournies dans la deuxième quinzaine de juillet, arrivèrent à Sélestat le 29 juillet, les autres arrivèrent plus tard.

      Les chefs de corps nommèrent les sous-officiers et brigadiers le 8 août. Tous les nouveaux gradés avaient été choisis parmi les jeunes gens faisant partie de la garde mobile, lesquels n'avaient jamais servi, de telle sorte que du jour au lendemain ils étaient devenus supérieurs de leurs camarades, sans connaître rien de plus qu'eux dans le métier des armes.

      On employa ces quelques jours à habiller tant bien que mal tous les hommes et un peu plus tard on leur distribua les effets d'équipement et les fusils à tabatière que personne ne connaissait encore et par conséquent on ne savait pas comment s'en servir.

      C'est dans ces conditions de formation que l'on commença l'instruction de la troupe. Comme les nouveaux gradés ne pouvaient rien enseigner aux autres, il fallut que les anciens officiers, aidés par quelques vieux soldats qui se trouvaient dans la place et qui avaient demandé à reprendre du service, se missent à donner les premières leçons à tous ces jeunes soldats. Mais il est aisé de comprendre la difficulté de la tâche qu'ils s'imposèrent, pour les officiers surtout, qui avaient à s'occuper de l'organisation et de l'administration de leurs compagnies et batteries. Enfin on se multiplia, on fit tous les métiers et au bout de quelque temps on arriva à avoir une sorte de garde nationale, animée d'excellents sentiments pour défendre la patrie en danger, mais ne présentant aucune solidité militaire pour lutter contre les excellentes troupes des Prussiens.

      C'est dans cette situation que le commandant Pinot prenait le commandement de l'artillerie de la place et commençait les travaux de défense. Les ouvrages extérieurs ayant été abandonnés, on ne songea même pas à s'en servir dans cette grave circonstance. (Le commandant de Reinach disposait cependant d'un nombre de pièces suffisant pour les armer, mais prétextant le peu de valeur militaire de ses troupes, il préféra ne pas les occuper. Le 21 août il donna l'ordre au génie de démolir et de faire sauter les ouvrages avancés de la place, ordre qui fut exécuté le lendemain.) Le commandant se borna donc à armer les murs d'enceinte de manière à prolonger la défense de la place le plus possible dans l'espoir que quelque événement heureux pourrait se produire en France et qu'on pourrait alors venir porter secours aux places assiégées.

      Ce ne fut pas une tâche facile que d'armer et mettre en état de défense une place en quelque sorte abandonnée depuis plus de quatre ans et qu'on savait destinée à être démolie. Il n'y avait rien de fait et tout était en souffrance dans la place. La troupe et ses officiers en très grande partie n'avaient aucune connaissance des travaux qu'on devait exécuter. Cependant il fallait se hâter de faire quelque chose, car l'ennemi commençait à se montrer et à espionner ce qui se passait chez nous. On se mit donc à l'ouvrage et toute cette jeune artillerie de la mobile, dirigée par les officiers et les sous-officiers de la demi-batterie, venue à cet effet, fit des prodiges, et dans les premiers jours de septembre une trentaine de bouches à feu (Sur 122 que contenaient nos arsenaux.) avaient été mises en batterie sur nos remparts. Dès ce moment l'artillerie était en mesure de remplir sa mission, si l'ennemi avait voulu tenter une attaque de vive force et aussi pour retarder les travaux de siège, s'il s'était décidé à les entreprendre régulièrement. Les jeunes canonniers avaient appris à servir les pièces d'une manière satisfaisante et se montraient disciplinés envers leurs supérieurs, leurs camarades de la veille.

      La tenue était certainement incomplète, mais enfin on reconnaissait là une troupe en formation qui ne tarderait pas à acquérir une certaine valeur.

      Le bataillon d'infanterie de la mobile faisait lui aussi de louables efforts pour s'organiser et s'instruire afin de pouvoir faire le service de la place et opérer quelques reconnaissances autour d'elle.

      Les habitants de la ville, puissamment encouragés par la municipalité, formaient une garde nationale, qui aurait certes rendu des services importants en cas de lutte sur nos murs, si l'ennemi avait tenté de les franchir. On connaît maintenant la composition des troupes chargées de la défense de la ville et l'on peut apprécier la solidité relative de son organisation.

      Pour l'organisation de ces nouvelles troupes au point de vue administratif, le commandant de place appela à Sélestat le sous-intendant Thiévard, qui se trouvait à Colmar et qui par suite du départ de toutes les troupes de la garnison, n'avait plus de raison de rester là. Mais ce fonctionnaire se montra plus habile administrateur en temps de paix qu'en temps de guerre. C'est ordinairement comme cela que notre administration de l'intendance remplit son rôle dans l'armée. C'est aussi l'opinion d'un général de haute valeur, car il dit un jour à ses compagnons d'armes : "L'Intendance est inutile en temps de paix et nuisible en temps de guerre." Je m'abstiendrai de parler des mesures administratives de M. Thiévard, car elles n'ont rien à faire dans ce récit purement militaire. En sa qualité de sous-intendant et grâce à un certain titre qu'il prit au moment de la capitulation il ne fut pas prisonnier de guerre, rentra en France, reçut beaucoup d'avancement et il jouit paisiblement de sa fortune au sein de sa charmante famille.

       

       

      3ème PÉRIODE : RÉUNION DES TROUPES ET DISPOSITIONS DE DÉFENSE.

      C'est dans le milieu de tous ces éléments militaires que nous avons définis très brièvement que M. le commandant de Reinach, investi soudainement de tous les pouvoirs que confère l'état de siège proclamé dans toute l'Alsace, avait à se débattre et à défendre la place confiée à sa garde et à son honneur. Cette tâche était trop grande pour un homme de son âge (Il était né le 22 septembre 1810 et avait donc 60 ans. Il s'était marié le 25 juin 1862.), surtout trop complexe, parce qu'il se trouvait seul représenter tous les pouvoirs et assumer toutes les responsabilités, lorsque l'heure serait venue de se présenter devant un conseil de guerre.

      Comme le rôle principal dans la défense de la place était tout naturellement dévolu au commandant de l'artillerie et ensuite à celui du génie, M. de Reinach abandonna à ces deux officiers la direction des affaires, tout comme il avait laissé le sous-intendant libre d'agir à son gré dans la partie administrative. Il signait avec empressement tous les ordres et toutes les décisions qu'on lui demandait, sans se douter que toute la responsabilité restait pour lui seul (Dorlan ibid. II. 544.). Cependant il déclarait hautement que ,sa vie était engagée dans l'accomplissement de sa mission. Quoi qu'il en soit, il fit de son mieux et tous les torts qu'on lui a reprochés, on doit les attribuer en toute justice au commandant Pinot, qui était parvenu à s'emparer de toute l'autorité et qui en somme, sans nécessité réelle, fut le premier à proposer au conseil de défense la capitulation de la place dont nous parlerons plus longuement un peu plus loin.

      On continua pendant les mois de septembre et d'octobre à travailler et à instruire aux divers exercices que la troupe devait connaître. Les gardes veillaient aux portes de la ville et l'ordre le plus parfait régnait partout. Les habitants étaient calmes et résignés.

      Pendant ce temps les événements militaires marchaient rapidement en France. L'armée du maréchal de Mac-Mahon, vaincue à Frœschwiller, se retirait à l'intérieur d'une manière indécise et lente pour se conformer aux ordres du maréchal Bazaine, devenu généralissime et prolongeant son séjour à Metz, où il n'avait rien à faire après le départ de l'empereur.

      L'armée allemande, n'ayant plus de troupes françaises à combattre, envahit l'Alsace rapidement, s'empara de toutes les ressources du pays pour entretenir son armée, commença sur le champ le siège de Strasbourg et envoya quelques détachements d'infanterie et de cavalerie observer les petites places et lever des contributions de toute nature pour ravitailler ses troupes, prendre des renseignements et se préparer ainsi à se rendre maîtresse de tous les points, où flottait encore le drapeau de la France.

      Durant le siège de Strasbourg les Allemands se contentèrent de faire surveiller par des patrouilles tous les travaux de la défense que l'on faisait dans la place. Leurs espions d'ailleurs avaient toute latitude pour voir et entendre tout ce qui se faisait ou se disait en ville. Aucune surveillance n'avait lieu sur les étrangers qui entraient dans la ville pendant ce temps de préparatifs. Les patrouilles de cavalerie venaient tous les matins se présenter devant la porte de Strasbourg et après un examen elles se retiraient à leur détachement, stationnant à quelques kilomètres de la ville. Quelquefois pendant la nuit ces patrouilles faisaient le tour de la place afin de savoir ce qui se passait de tous les côtés.

      Une nuit, étant de garde sur le cavalier à gauche de la porte de Strasbourg (Ce cavalier dominait le bastion placé exactement derrière la maison de M. Lazare Weiller, et dont on dut faire sauter une partie des fondations à la mine lors de la réfection du boulevard l'automne dernier.), ayant entendu marcher les chevaux d'une patrouille, venant par la route de Colmar (Actuellement Boulevard de Nancy. Cet incident n'efit pas été possible si la flèche élevée en 1792 en avant du cimetière avait été occupée par nos troupes comme pendant les deux sièges de 1814 et 1815.), je pris le fusil d'une sentinelle et tirai un coup de fusil dans la direction où se faisait le bruit de cette troupe. Le coup partit et toute la patrouille prit le trot; mais un instant après deux coups de fusil partirent du bord de la route, un cri fut poussé, un des cavaliers avait été atteint, alors toute la troupe s'éloigna au galop. Le matin, un habitant de la ville rapporta un manteau à la place en disant qu'il l'avait trouvé sur la route. Dans cette même matinée une patrouille de cavaliers, précédée de deux hommes à pied, vint explorer la route, mais une fois parvenue à portée de fusil, on fit feu sur elle et alors elle cessa de chercher les traces que pouvait avoir laissées sur la route l'homme qui avait été frappé la veille.

      Dans la défense d'une place forte, menacée d'être assiégée et attaquée, la mission la plus importante est celle dévolue au commandant de l'artillerie, auquel toutes les armes doivent prêter le concours le plus actif et le plus dévoué, comme nous l'avons déjà dit.

      Le commandant Pinot, envoyé de Metz tout exprès pour armer et défendre Sélestat, trouva dans les jeunes troupes de la garnison ces excellentes dispositions et surtout dans l'artillerie de la garde mobile qui resta constamment à sa disposition pendant toute la durée du siège. C'est elle qui, sous la direction des officiers de la demi-batterie d'artillerie de l'armée active, exécuta tous les travaux de défense, mit les trente et quelques pièces en batterie et se façonna à toutes les manœvres et à tous les services imposés aux troupes de l'artillerie en temps de guerre.

      Aussi, pendant les quelques jours de combat qui eurent lieu vers la fin d'octobre, le tir de l'artillerie de la place fut si juste et si précis que l'ennemi en fut surpris et eut quelques-unes de ses pièces démontées à la batterie qu'il avait établie au moulin de la Chapelle et à laquelle répondait la Ie batterie de la garde mobile, commandée par le capitaine Perfetti, chargé de la défense des bastions 33, 34, 35, 36 et de la courtine 21, c'est à dire toute l'étendue comprise depuis la porte de Strasbourg jusqu'aux casernes (33: bastion de l'hôpital (en avant de la rue des Fèves); 34: b. de la Rivière (à l'extrémité du Boulevard Thiers); 35: b. de la Porte de Brisach (quai d'Ill contre l'ancien abreuvoir); 36: b. Suédois (subsiste encore derrière la menuiserie Ohnet).).

      Sur tous les points attaqués l'artillerie de la place répondit avec avantage au feu de l'ennemi et resta jusqu'au jour de la capitulation en bonne situation. Malgré tout ce que M. le Commandant Pinot a dit pour justifier sa conduite, je puis affirmer qu'une seule de nos grosses pièces, à la porte de Colmar, avait reçu un projectile dans ses roues et qu'il eût été très aisé de les remplacer. Quelques embrasures avaient été endommagées, mais il aurait été facile de les réparer pendant la nuit si on avait songé sérieusement à prolonger la résistance jusqu'à ses dernières limites. Tel n'était point le dessein de M. Pinot qui fut le premier à déclarer que sa mission était terminée et qu'il fallait se résoudre à la reddition de la place (On serait peut être tenté de croire que ces appréciations ont été dictées par le souvenir de froissements survenus à l'occasion du service entre M. Perfetti et son chef direct. Mais elles se trouvent confirmées par un document officiel, le rapport du commandant du génie adressé au Président de la République :

      ,.Le conseil de défense fut réuni par le commandant supérieur le 23 au soir et le commandant de l'artillerie lui exposa la situation de l'armement des ouvrages ayant vue sur les attaques : les pièces étaient ou égueulées ou avaient leurs affûts, leurs embrasures et leurs plateformes hors de service.

      Le commandant du génie demande s'il n'y avait pas possibilité de réparer pendant la nuit les embrasures et les plateformes et de remplacer les pièces liors de service par des pièces en bon état prises sur les parties des fortifications où elles étaient inutiles.

      Le commandant de l'artillerie objecta la difficulté d'exécuter ce travail sous le feu de l'ennemi et les obstacles qu'offraient à la circulation sur le terreplein de la courtine 30-31 les abris qui y avaient été exécutés d'après l'ordre du commandant supérieur par la compagnie de la garde nationale mobile d'infanterie chargée de la défense de cette courtine. Le commandant du génie s'offrit à faire déblayer par cette compagnie les terres qui dans la construction de l'abri avaient pu empiéter sur le passage nécessaire à la circulation des pièces et fit observer du reste qu'on pouvait aboutir par un léger détour dans l'intérieur de la ville au bastion 30. Le maire de la ville fut appelé au sein du conseil Je défense et requis de fournir les attelages et conducteurs civils, pour effectuer le transport du matériel et les membres du conseil de défense invités à se tenir- en permanence poux se prononcer sur les résultats de la tentative qui allait être faite.

      Il fut réuni le lendemain à 6 heures du matin et le commandant de l'artillerie ayant exposé qu'il n'avait pu avec le petit nombre d'artilleurs dont il disposait, réaliser le programme arrêté la veille, il se voyait dans la nécessité de faire cesser à peu près complètement le feu sur toute la partie de la fortification ayant vue sur les attaques principales de l'ennemi. La place n'avait souffert d'autre atteinte que la destruction des chaînes du pont-levis de l'avancée de la porte de Colmar".

      Et le commandant du génie conclut:

      "Le commandant du génie pense que la place de Sélestat aurait pu tenir plus longtemps" .....).

      Cependant tous les moyens de défense n'avaient pas été épuisés. L'ennemi n'avait fait aucune tentative d'assaut, ouvert aucune brèche ; tout au contraire démontrait qu'il ne comptait s'emparer de la place que lorsqu'elle aurait épuisé ses vivres. On fut étonné dans la place de voir cet officier supérieur, qui avait poussé avec tant de vigueur les armements de la place et fait entendre qu'il était résolu à faire la plus énergique résistance, changer d'opinion au moment où l'ennemi s'apprêtait à une attaque plus sérieuse. Cet étonnement avait commencé à se faire sentir le jour où l'ennemi vint en plein soleil choisir ses emplacements pour y établir ses batteries devant la porte de Colmar et y travailler sous nos yeux à quelques centaines de mètres de la place. Prévenu de ces dispositions que l'ennemi venait de prendre, M. Pinot vint voir par lui-même ce qui se passait devant nous. Tout naturellement son devoir était de braquer un feu roulant et bien nourri, de l'empêcher de dresser ses batteries et de le forcer à passer par les travaux lents et difficiles d'un siège régulier. Il ordonna tout le contraire. Il défendit de tirer en disant qu'il délogerait bien vite l'ennemi de ses positions, dès qu'il commencerait à tirer sur la place. L'ennemi put donc continuer ses travaux sans être inquiété et le lendemain il se trouva prêt à croiser ses feux avec ceux de la batterie, placée au moulin de la Chapelle.

      Dans les dispositions prises pour la défense de la place le Commandant Pinot avait divisé l'enceinte en quatre commandements correspondant aux 4 batteries de la garde mobile.

      Le capitaine Perfetti avec la Ie batterie était chargé de la défense de la partie comprise depuis la porte de Strasbourg jusqu'aux casernes. En tout 8 pièces de canons de divers calibres. Le capitaine Magnier avec la 4e batterie avait la défense des bastions allant de la porte de Strasbourg jusqu'au collège avec 6 pièces.

      Du collège à la porte de Colmar c'était la 1/2 batterie d'artillerie de l'armée, capitaine Mauriot, et la 2e batterie de la mobile, capitaine Stoffel, n'ayant jamais servi, et par conséquent placé sous les ordres de M. Mauriot (6 pièces). C'est dans cette partie de la défense que s'est tenu continuellement le commandant Pinot. (C'est là que se trouvait le grand cavalier, situé derrière l'ancien collège.) Le capitaine juillière avec sa 3e batterie exerçait le commandement de l'espace entre la porte de Colmar et les casernes, où finissait la défense confiée à M. Perfetti (9 pièces).

      Les points d'attaque choisis par l'ennemi furent ceux gardés par le capitaine Perfetti du côté de la Chapelle et celui gardé par les capitaines Mauriot et Stoffel du côte de la porte de Colmar, où, nous l'avons dit plus haut, l'ennemi était venu en plein jour construire ses batteries, sans être inquiété par l'artillerie de la place.

      L'ennemi avait judicieusement choisi ses points d'attaque (Il n avait pas grand mente à cela, n ayant qu a suivre les errements des alliés en 1814 et 1815, qui avaient attaqué sur les mêmes points.) car les feux de ses deux batteries se croisaient sur le centre de la place, ses projectiles frappaient le mur d'enceinte, les maisons et les défenseurs des deux points attaqués. En effet, si le mur d'enceinte eut peu à souffrir, parce qu'il fut peu visé, plusieurs maisons furent incendiées et quelques canoniers furent tués ou blessés à côté de leurs pièces.

      La ville de Sélestat était assez bien pourvue en vivres et les habitants bien résignés à une longue et énergique résistance. La garnison possédait une grande quantité de vivres et de munitions par suite d'un important convoi destiné à la place de Strasbourg, arrivé après la bataille de Frœschwiller au moment où les troupes allemandes avaient déjà enveloppé la ville et qui avait reculé jusqu'à Sélestat, où il a déposé tout son chargement considérable en munitions de guerre et surtout en poudre. C'est encore le commandant Pinot qui avait retenu ce convoi dont la place n'avait aucun besoin, au lieu de le renvoyer à Belfort,. comme d'autres officiers l'avaient conseillé et où il aurait été bien plus utile qu'à Sélestat.

      C'est dans ces conditions qu'on attendait les événements, mais après Frœschwiller toutes les places de guerre de la frontière de l'Est se trouvaient cernées par les troupes allemandes, séparées de toutes relations avec le général Uhrich et le gouvernement français. Néanmoins on conservait encore quelque espoir, puisque l'armée de Metz et les débris encore importants de l'armée du maréchal de Mac-Mahon se concentraient sur le camp de Châlons, où on allait réunir une nouvelle armée pour arrêter la marche de l'ennemi dans l'intérieur de la France.

      Pendant ce temps l'ennemi avait entrepris le siège de Strasbourg et répandu ses troupes dans tout le pays d'Alsace et de Lorraine, troupes sans cesse renouvelées, venant des réserves que la Prusse avait mobilisées pour renforcer journellement les effectifs des corps qui pénétraient en France.

      Le siège de Strasbourg se prolongea jusqu'au 28 septembre,, après que la ville eut subi les épreuves de l'incendie, de la faim et de nombreuses pertes parmi ses défenseurs et ses habitants.

      Toute la garnison déposa les armes et fut envoyée en captivité dans la forteresse de Rastatt, à l'exception du Général Uhrich et de quelques officiers, qui signèrent des revers. Maîtres de cette importante position, les Allemands s'y établirent solidement, y organisèrent tous leurs services de guerre et en firent le centre de réunion de tous les renforts venant de l'Allemagne et destinés à l'armée qui marchait sur Paris.

      Ces importantes dispositions prises, l'autorité militaire organisa des colonnes assez fortes et les dirigea presque en même temps sur les petites places de Sélestat, Neuf-Brisach, Phalsbourg, Bitche etc ... Ces colonnes vinrent rejoindre les petits détachements qu'on avait envoyés précédemment en observation devant ces places et qui les mirent tout de suite au courant de ce qui s'y passait.

      La colonne qui devait opérer sur Sélestat se présenta devant la place vers le 8 octobre (Exactement le 10.) choisit ses emplacements et établit ses cantonnements tout autour de la ville, qui se trouva dès lors privée de toute communication extérieure.

      Après deux ou trois jours passés à reconnaître la situation de la place, le commandant de la colonne fit construire une batterie au moulin de la Chapelle sur la lisière de la forêt en la faisant garder par un fort détachement d'infanterie. La distance de cette batterie était de 2 kilomètres et ses feux menaçaient tous les bastions faisant face à la forêt et embrassaient toute l'étendue comprise entre la porte de Strasbourg et les casernes. Les feux de cette batterie devaient un peu plus tard se croiser avec celui des batteries que l'ennemi avait projeté d'établir du côté de la porte de Colmar. En effet, quelques jours après, elle ouvrit son feu en visant d'abord les bastions 33, 34, 35 et 36, mais après quelques coups de canon elle éleva son tir de manière à atteindre la ville et les défenseurs de la porte de Colmar qui recevait par derrière ses projectiles. Quelques uns de ses boulets dépassaient la ville et allaient indiquer la direction exacte qu'il fallait choisir devant la porte de Colmar pour établir les batteries qui devaient croiser leurs feux avec elle au moment opportun.

      Dès les premiers coups partis du moulin de la Chapelle, la batterie du capitaine Perfetti qui lui faisait face répondit victorieusement et concentra ses feux sur les points d'attaque. On était à environ 2000 mètres de distance. L'ennemi ne voulait point engager un combat d'artillerie qui ne lui aurait servi à rien ; son but était de bombarder la ville, d'y allumer des incendies et de mettre hors de combat les défenseurs de la porte de Colmar et d'intimider les habitants de la ville. C'était de sa part bien raisonné et le résultat justifia pleinement ses espérances.

      De notre côté nous n'avions d'autre parti à prendre que de contrarier l'action de cette batterie et faire en sorte qu'elle ne puisse plus continuer son feu. Effectivement après trois jours de lutte, notre tir devint si précis, si juste que, le 22 à 11 heures du matin, les canons ennemis cessèrent leur feu. Quelques-uns avaient été démontés (Le fait a été reconnu par le lieutenant Yogt du 8e bataillon de chasseurs allemands au cours d'une conférence qu'il fit au club vosgien le 11 janvier 1903. Toutefois il se crut obligé d'exagérer en prétendant que dès le soir même à 4 heures la batterie avait repris son tir). Cependant dans la journée du lendemain l'ennemi avait réparé ses dommages et repris son tir comme avant.

      Pendant ce temps l'ennemi avait fait choix de ses positions devant la porte de Colmar et commença en plein jour à construire deux batteries à environ 600 mètres de la place, sans être inquiété à la suite des ordres formels du commandant Pinot. L'ennemi une fois établi sur les points dont il avait fait choix, prit toutes ses mesures pour s'y maintenir et le feu de notre artillerie ne put plus l'en déloger.

      A la date du 19 octobre tout était prêt du côté de l'ennemi pour nous attaquer sérieusement sur les deux points qu'il avait choisis. Ses canons de la batterie de la Chapelle ouvrirent les premiers leurs feux. L'attaque de la porte de Colmar ne commença que le 22 au matin et se prolongea jusqu'au 23, bien avant dans la nuit. Cinq ou six maisons de la ville furent incendiées, il y eut trois ou quatre victimes tant en ville, que sur les remparts, mais notre situation de défense restait encore excellente et tout nous autorisait à croire que nous pouvions résister à l'ennemi pendant plusieurs jours, en admettant qu'il eût voulu tenter un assaut ou une attaque par surprise. La population se montrait calme, résignée et désireuse de voir prolonger la défense.

      C'est dans ces conditions que M. Pinot, commandant de l'artillerie, vint déclarer au commandant de la place que sa mission était terminée et qu'il ne pouvait plus prolonger la lutte, ni la défense de la place. Après cette déclaration qui causa tant de surprise au conseil de défense et plus encore aux autorités de la ville, le commandant de Reinach informa le maire qu'il allait arborer le drapeau blanc sur la cathédrale et se mettre en rapport avec l'ennemi pour conclure une capitulation.

      M. le maire et son conseil se montrèrent consternés d'une pareille résolution avant d'avoir épuisé toutes les ressources de la défense et forcé l'ennemi à une tentative d'assaut (Le conseil municipal tint dans cette circonstance à dégager sa responsabilité. Par une déclaration solennelle il tint à affirmer qu'aucun habitant de la ville n'avait réclamé la reddition, qui était l'œuvre exclusive de l'autoritémilitaire. - Kling et Jehl p. 160.).

      Néanmoins ils durent se soumettre et prirent sur le champ les mesures pour protéger les habitants et les intérêts de la ville.

      Ce n'est pas sans regret qu'il faut dire ici que l'autorité militaire en remplissant le douloureux sacrifice de déposer les armes et de se rendre presqu'à discrétion ne sut ou elle oublia de prendre les précautions ordinaires en pareille circonstance. Elle laissa dans la plus grande ignorance toute la garnison qu'elle allait conclure la capitulation de la place. Elle ne donna pas d'ordre de détruire le matériel de guerre et de noyer l'énorme quantité de poudre qui se trouvait dans nos poudrières et dans nos arsenaux. Elle négligea en grande partie de faire payer la solde aux officiers et aux employés des diverses administrations qui n avaient rien touché depuis le mois d'août, époque de la mise en état de siège de toute l'Alsace et laissa entre les mains du payeur une somme de 50000 Francs, dont l'ennemi s'empara bien vite. Elle ne songea pas non plus que nos soldats avaient travaillé et usé leurs vêtements et qu'il était urgent de les vêtir aussi confortablement que possible avec les ressources que nous avions dans nos magasins avant de partir en captivité à l'approche de l'hiver. Aucun ordre n'avait été donné de fermer les petites poudrières situées près des pièces et ce manque de prévoyance donna lieu dans la journée du 24 à huit heures du matin à une épouvantable explosion, qui aurait pu faire sauter la grande poudrière et causer un grand désastre à la ville toute entière.

      Un ordre du commandant de place aurait dû être adressé aux troupes de la garnison leur annonçant la douloureuse résolution qu'il avait dû prendre, la remerciant de son dévoûment à la défense de la patrie, l'engageant à la résignation, l'invitant à se réunir en bon ordre et dignement sur un point désigné pour se constituer prisonnière et partir en exil. Au lieu de cela le désordre était partout. Les soldats se rassemblaient un peu partout; quelques-uns avaient trop bu et se faisaient remarquer par leur bruyante conduite.

      Le baron de Reinach, chef de bataillon de la garde mobile fut désigné pour aller négocier la capitulation de Sélestat au nom de M. le Comte de Reinach, commandant de place (Il était accompagné du chef d'escadrons Legrand-Dussaule, commandant lo dépôt du 2e régt. de lanciers.).

      Les conditions portaient :

      1 ° Les troupes de la garnison déposeraient les armes, se constitueraient prisonnières de guerre et défileraient devant les troupes allemandes,

      2° Tout le matériel de guerre serait remis intact aux troupes allemandes, ainsi que tous les vivres et approvisionnements militaires de toute nature,

      3° Toute tentative de révolte collective et individuelle engagerait la responsabilité de la garnison etc....

      Le 24 octobre, à 11 heures du matin, devant la porte de Colmar toute la garnison de la place défila en présence des troupes ennemies après avoir laissé déposer ses armes en ville. Le commandant de la place déposa son épée entre les mains du chef des troupes allemandes qui, après l'avoir reçue, la remit de suite au comte de Reinach comme témoignage d'égards et de haute estime pour le pauvre défenseur de la place.

      Après le défilé toute la garnison fut mise en route vers Colmar. Le commandant de l'escorte procéda aussitôt à la séparation des officiers de leurs soldats, qui furent mis en tête et bien enveloppés par une forte escorte. Plus en arrière marchaient tous les officiers et quelques voitures portant leurs bagages, également bien gardés par les troupes allemandes. On marcha dans cet ordre jusqu'à Guémar et là on conduisit la troupe sur un grand champ bien gardé pour y passer la nuit. Les officiers furent renfermés à la mairie gardée militairement et on leur donna quelques bottes de paille pour se coucher.

      Le 25 de bon matin on se remit en marche ; on franchit le Rhin au dessus de Neuf-Brisach et on chemina ainsi jusqu'à la station du chemin de fer (Riegel?) où on arriva à la nuit close. Un train était préparé pour embarquer la troupe et la conduire à (Mulheim?). Un autre train attendait les officiers pour les transporter dans la forteresse de Rastatt, où il arrivèrent le lendemain vers 11 heures du matin. En arrivant dans cette place l'autorité allemande fit conduire tous les officiers dans un hôtel où on avait commandé un déjeuner pour eux et on les prévint qu'ils passeraient la nuit dans cette place et dans un bâtiment militaire, garni de lits de troupe. On leur fit savoir en même temps que tous les officiers de la garde mobile seraient envoyés à Breslau et ceux de l'armée à

      Après le déjeuner les officiers furent libres de circuler dans la ville et de prendre leurs dispositions pour le grand voyage du lendemain.

      Dans la forteresse de Rastatt se trouvait déjà la garnison de Strasbourg, qui avait été faite prisonnière de guerre le 28 septembre. Le 28 octobre au matin tous les officiers prisonniers de Sélestat se mirent en route pour se rendre au lieu de leur exil, où ils restèrent jusqu'à la conclusion de la paix. je fus seul autorisé à rester à Rastatt. .......................

      L'Alsace, quoique séparée par la force de la mère patrie, voulut prendre part à la rançon de guerre réclamée par l'Allemagne. Sélestat envoya à la France un peu plus de 20000 francs et depuis ce moment elle pleure en silence la mère qu'elle a perdue dans l'épouvantable désastre de 1870.

      Le traité de Francfort ayant mis fin à la guerre, tous les prisonniers de guerre internés en Allemagne rentrèrent en France. Alors le gouvernement songea à rechercher les causes de notre défaite et à établir les responsabilités des chefs militaires qui avaient joué un rôle quelconque pendant la guerre. A part le maréchal Bazaine, on fit semblant de demander compte aux petits commandants de place qu'on avait abandonnés à leur malheureux sort. Un conseil de guerre fut nommé pour connaître les diverses capitulations qui s'étaient produites pendant la lutte avec les Allemands. Le comte de Reinach comparut à son tour devant ce conseil de guerre dont la consigne était de ne condamner personne.

      M. Albrecht (Albrecht a été nommé chevalier de la Légion d'Honneur pour sa belle conduite par le gouvernement de la Défense nationale.) maire provisoire, nommé après le 4 septembre par le gouvernement provisoire, qui était animé des meilleurs sentiments pour prolonger la défense jusqu'à ses dernières limites et qui avait désapprouvé la capitulation anticipée, aurait pu, s'il avait été appelé à témoigner devant le conseil de guerre, nuire à la justification du commandant de Reinach, mais il ne fut pas convoqué par le commissaire du gouvernement. Le Conseil se contenta d'une demi-mesure. Il infligea au commandant un blâme d'un côté et approuva ensuite sa conduite comme ayant bien rempli son devoir. Il ne reçut ni punition, ni récompense. On .lui donna sa retraite, à laquelle il avait droit.

      M. Pinot qui espérait un avancement dans la Légion d'honneur, n'obtint rien. On le renvoya tout simplement dans son régiment. Pendant la Commune il fut chargé de la direction d'une batterie et à cette occasion il fut promu lieutenant-colonel. Quelque temps après, par faveur spéciale, il fut nommé directeur de l'artillerie de Lyon, poste occupé ordinairement par un colonel, mais il ne resta pas longtemps à la tête de cet important service et je sais qu'on le mit à la retraite par retrait d'emploi. .......................

      J'arrête ici pour le moment mes observations sur le siège de Sélestat que je viens d'écrire au courant de la plume. Acteur et témoin de tout ce qui s'est passé dans l'action de la défense de la place, j'ai pris ma large part dans les regrets et les revers qui ont suivi la défaite éprouvée par la France en 1870.

       

       

       

         

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