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      SCOLCA MEMORIA

      Haute Corse - Canton Golo Morosaglia

       

      Histoires, Anecdotes et autres Chroniques

        Assassinat de Bonetti Paul François

      Cour d’assises de la Corse   Bastia 10, 11 et 12 juillet 1835 

       FRATRICIDE. — CADAVRE MUTILÉ. — CONDAMNATION  A MORT D'UN PERE ET DE SON FILS

       

       Paul-François Bonetti, né à Scolca demeurait à Vignale où il s'était marié. Séparé depuis longtemps dé sa femme, dont il n'avait pas eu d'enfants, il y vivait tranquille au sein d'une honnête aisance. Du reste, il avait une parenté nombreuse, trois sœurs, plusieurs neveux, et un frère, Michel Bonetti. Ce dernier s'attacha à captiver sa confiance, et il l'entourait des soins les plus empressés pour s'assurer de son patrimoine. Il plaça, dans cet objet, près de lui ses deux filles, Gentile et Lidle, qui devaient l'assister dans son ménage, et surtout éloigner de sa personne tous prétendants à sa succession. A l'aide de ces manoeuvres, Michel parvint à décider son frère, le 19 janvier 1688, à faire un testament qui l'instituait, lui et son fils, ses héritiers Universels. Cet acte une fois consommé, Michel pensa pouvoir, sans danger, se relâcher de sa surveillance; il rappela sa fille Gentile, et ne laissa que Lidie. Bientôt Paul-François crût s'apercevoir qu'on ne lui témoignait plus les mêmes égards, qu'on n'était plus aussi assidu auprès de sa personne. Il restait seul quelquefois des journées entières, et il était réduit à appeler une femme du voisinage pour préparer ses repas. Cet isolement inaccoutumé, cet abandon de la part de Bonetti, aigrirent ses esprits. Ensuite cet homme avait eu autrefois des rapports d'intimité avec une femme appelée Ursule Mariotti, et deux filles naturelles étaient issues de ce commerce. Elles vivaient dans la misère, et jamais Paul-François ne leur avait donné aucune marque d'affection ni d'intérêt. Tout à coup des scrupules de conscience viennent assiéger son âme. Il se reproche ce délaissement comme un crime, et veut réparer ses torts. Un jour qu'il était sur le seuil de sa porte, pensif et tout entier sous l'influence de ces idées réparatrices, il aperçoit l'une de ses filles naturelles, il l'appelle d'un air affectueux; surprise de ces témoignages de bienveillance auxquels elle n'est pas accoutumée, cette fille hésite à venir; il Insiste, elle entre dans la maison de Paul-François : "Que me voulez-vous ? — Assieds-toi". L'émotion du vieillard est extrême, c'est peut-être pour la première fois qu'il lui adresse la parole. Il la fait placer à table, à ses côtés, et lui annonce qu'après la moisson, elle viendra rester chez lui avec sa soeur, et qu'ils vivront tous ensemble sous le même toit. Le lendemain 1er juin 1834, il se rend à Bastia pour lui acheter des vêtements, et lui apporte divers objets.

       

      Ce retour de tendresse inattendue pour ses filles naturelles jeta l'alarme dans la famille Bonnetti. Elle craignit la révocation du testament. Lidie manifesta hautement ses inquiétudes: ".Ah ! je le vois bien, disait-elle avec amertume, nous aurons travaillé pour d'autres". Mais Michel et son fils Charles-François, comprimèrent avec soin les sentiments qui les agitaient. Ils se montrèrent même plus affectueux envers Paul-François, pour lui inspirer une entière sécurité, semant ainsi traîtreusement de fleurs le chemin qui devait le conduire à la mort. 

       

      Le 7 juin , peu de jours après son retour de Bastia, Paul-François sort le matin de son domicile, pour aller à la recherche de sa jument égarée, et ne revient plus. Qu'était-il devenu ? On se perd en conjectures; on se livre à d'activés et nombreuses recherches. Enfin, le 17 juin, après dix jours de perquisitions, on découvre à trois quarts de lieue de Vignale, le cadavre de l'infortuné Paul-François, sans mains et sans tète, gisant dans un lieu couvert de makis et d'un accès difficile. A quelque distance était le bonnet tout ensanglanté de la victime, portant l'empreinte <ie trois coupures qui semblaient opérées par une bâche. Plus loin, au bord d'un sentier près duquel le crime avait dû être consommé, on trouva des mèches de cheveux blancs, et d'abondantes traces de sang. On remarquait en outre une espèce d'ouverture pratiquée à travers les broussailles, par où l'on paraissait avoir traîné le cadavre à quarante pas du sentier. Les auteurs de cet effroyable attentat, on ne les chercha pas long-temps. Un cri universel s'éleva aussitôt dans la contrée: Michel et Charles-François Bonetti sont les assassins de leur oncle et frère! Paul-François, en effet, n'avait pas d'ennemis; les accusés seuls étaient intéressés à lui donner la mort. On se rappelait que, deux ou trois jours avant le 7 juin, Michel prophétisait en quelque sorte la mort de son frère, le faisait tuer par anticipation, et disposait les esprits à la nouvelle de sa fin prochaine , en disant que la jument de Paul-François ne se retrouvait plus, et qu'un ennemi pouvait l'avoir entraînée dans un lieu désert pour y attirer son frère et lui ôter la vie. On avait vu Michel et son fils dans la matinée du 7 Juin se diriger, une hache à la main, vers le lieu où le cadavre a été découvert, et il a été invinciblement établi que ce jour-là ils avaient donné rendez-vous à Paul-François, précisément à l'endroit où le crime a été commis. Ils ont été dans l'impossibilité de justifier leur alibi. D'un autre côté, lorsque les habitants du village étaient à la recherche de Paul-François, et qu'ils se rapprochaient du point où son corps a été trouvé, Michel et son fils les en éloignaient sous divers prétextes, en les dirigeant vers un endroit opposé. Enfin le 17 juin, tout le monde, a l'aspect du cadavre horriblement mutilé, el des localités qui l'environnent, proclame sans hésiter que Paul-François a été assassiné. Les deux accusés soutiennent seuls qu'il a succombé à une chute, malgré les impossibilités matérielles qui s'élèvent contre cette supposition ; et ce terrible événement, qui aurait dû les navrer de douleur et les jeter dans une sorte de désespoir, les laisse si calmes et si indifférents, que le jour même Michel envoie l'une de ses filles avec des moissonneurs dans les champs pour couper le blé. Ce dernier fait indigna profondément la population, car il n'est peut-être pas de pays au monde où le culte pour la famille et pour les morts soit poussé plus loin qu'en Corse. C'est sous le poids de ces charges terribles que Michel et Charles-François Bonetti comparaissaient sur les bancs de la Cour d'assises.

       

      Michel, âgé de 52 ans, a les traits fortement prononcés, son regard est perçant et son maintien assuré. Quant à son fils Charles - François, âgé de 20 ans, son visage sombre et contracté, ses yeux incessamment attachés sur son banc, sa parole brève et rare, révèlent en lui une profonds agitation ; il peut à peine articuler quelques mots entrecoupés; il a l'air d'un homme en proie à des souvenirs qui l'oppressent et paralysent tous ses mouvements.

       

      Après quatre jours de débats et l'audition de tous les témoins, M. Sorbier, premier avocat général , prend la parole en ces termes :

       

      ,,Quel spectacle douloureux, quelles affreuses images nous ont offerts ces débats! Qu'avons nous vu ? Un homme immolant tout son être à la plus dégradante des passions, la cupidité, haletant vers le gain, arracher un testament à son frère; et puis, tremblant de perdre un héritage qu'il convoite depuis longs-temps, tramer la perte de ce frère, armer, dans cet objet impie, d'un poignard homicide, la main de son fils, lui commander l'assassinat d'un oncle, lui désigner le cœur de la victime, et tous les deux ensemble, unis pour le crime, attirer leur oncle et frère dans un lieu désert pour l'égorger à l'aise, et consommer le plus épouvantable des sacrifices. Là, comme si une divinité infernale les eût remplis tout entiers, tète et cœur d'une cruauté pure et sans mélange de pitié, ces hommes s'élancent sur ce malheureux, lui portent les coups les plus terribles, lui entr'ouvrent le crâne à coups de hache, et comme s'ils voulaient lui rendre la mort pire que la mort, et inventer pour lui des supplices, ils lui tranchent la main, ils lui tranchent la tète ; et après cette hideuse mutilation qui lui laisse à peine la forme humaine , craignant toujours qu'il ne garde quelque étincelle de vie, craignant toujours de ne pas le tuer assez, ils ont le courage de s'arrêter pour contempler tant d'atrocité; ils osent remuer ses affreuses dépouilles, enlacer de leurs bras ensanglantés le corps de la victime, et traîner ainsi ses lamentables restes à travers les rochers et les makis, à travers d'immenses difficultés, dans un lieu presque inaccessible, où ils les abandonnent à la pâture des animaux, leur confiant le soin d'achever leur ouvrage. Ah! qui pourrait retracer cette scène d'horreur et d'épouvante, la marche de ce convoie funèbre, cette orgie de cannibales, cet acharnement sur un cadavre ? Toute parole est pâle, toute expression morte eu face d'un forfait d'une aussi monstrueuse conception. L'imagination croit errer dans les champs de la fable à la lueur du flambeau des furies, et cependant ce n'est pas là une fiction dramatique destinée à susciter dans les âmes de profondes émotions; c'est une vivante, c'est une effrayante réalité qui nous environne."

       

      Après cet exorde, le ministère public aborde les faits de la cause, qu'il retrace sous des couleurs vives et dramatiques, et discute toutes les charges de l'accusation avec une grande énergie. Rappelant les motifs qui déterminaient Paul-François Bonetti à venir au secours de ses filles naturelles, „ Paul-François, dit-il, était parvenu à cet âge où l'on n'a plus que des souvenirs, où toutes les choses de la vie apparaissent sans illusions, avec leurs tristes réalités, où le passé revient à nous terrible, accusateur, avec ses I fautes et ses erreurs, et impitoyable sur les expiations qu'il n'a pas obtenues. Et bien! un souvenir cruel le poursuit et l'accable ; il a donné le jour à deux filles naturelles, elles sont vivantes sous ses yeux, c'est son sang, c'est sa chair; et la plus affreuse misère est leur partage, et jamais il ne daigna les secourir, jamais il ne leur adressa un mot consolateur. A cette idée sou cœur se brise ; il se demande s'il ne les a jetées sur cette terre que pour contempler leur détresse et jouir de leur humiliation. Ne serait-il pas éternellement coupable devant Dieu ! ne se montrerait-il pas traître à cette pitié profonde qui attache unis les pères à leurs enfants s'il restait plus long-temps insensible à leur malheur? Il jure d'être enfin leur père. Cette pensée sourit à sa vieillesse; elle le réconcilie avec lui-même; c'est comme une ablution sainte qui restitue à sa conscience sa force et sa pureté."

       

      L'organe de l'accusation s'élève ensuite contre l'insensibilité de Michel, qui n'a eu ni une larme, ai un regret pour Paul-François, après la découverte de son cadavre, et cependant c'était son frère : „Des frères sont des amis de nécessité, dit-il, il existe entre eux une étroite solidarité d'honneur et d'infamie. Tous les intérêts sont semblables; toutes les perspectives sont en commun, même en général celle de la tombe. On demandait à un ancien quel était son meilleur ami dans le monde! C'est mon frère, répondit-il. — Hé bien, quel est celui qui tient le second rang dans votre cœur ? — C'est mon frère. — Et le troisième? — C'est aussi mon frère: — et il ne cessa de faire cette réponse que lorsqu'on eut cessé de le questionner."

       

      M. l'avocat général termine ainsi:

       

       „Est-il besoin, messieurs, de vous rappeler la situation du pays? Ne savez-vous pas tous ses malheurs? Ne savez-vous pas combien il a soif de justice et de repos? Ignorez-vous que dans plusieurs communes, le poignard de la haine et de la vengeance peuple les cimetières, encore plus que les morts naturelles; que la discorde est venue s'asseoir jusque dans le sein des familles, et que plus d'une fois elle a ensanglanté le seuil du foyer domestique? Avez-vous oublié qu'au moment où Paul-François mourait égorgé par les siens, à Vescorato Lorenzini immolait son frère à coups de hache; à Volpaiola Perfetti arrachait la vie à son frère ; à Murato, un frère enfonçait à son frère un stylet dans les entrailles. Ainsi les lois du monde ne sont plus qu'un jeu de hasard ; les liens de la nature sont brisés ; l'antique chaos est déchaîné: les frères tuent leurs frères. Eh bien! messieurs, dans un pareil état de crise, laisseriez-vous chanceler dans vos mains le glaive de la suprême justice dont vous a armés le pays? Voudriez-vous que les deux hommes qui ont assassiné leur frère et oncle, qui l'ont fraudé d'une tombe, qui ont dépecé son cadavre, vinssent, encore teints du sang de leur victime, réclamer ses biens, se parer de ses dépouilles, et accroître ! leur patrimoine de ce funèbre héritage ? Ne serait-ce pas le comble de l'immoralité? Le peuple ne dirait-il pas: Puisque les magistrats du pays n'ont rien trouvé de mieux pour venger la mort et honorer la mémoire de Paul-François, que d'absoudre ses assassins, et de leur livrer sa fortune; puisque le crime triomphe partout sur la terre, que risquons-nous? Imitons ce scélérat heureux. Ne voyez-vous pas en effet que l'idée de Michel et rie son fils, donnant sous le même toit, sur la même couche que Paul-François, durant sa vie, est quelque chose qui suscite les réflexions les plus désolantes et les plus fatales, est quelque chose qui ferait désespérer de Dieu même? que ce serait un spectacle qui crierait perpétuellement vengeance, que se serait une consécration toujours vivante du plus horrible des forfaits, et un monument élevé par vous au crime dans le sein du pays. Non, on n'hérite point de ceux qu'on assassine; non, non, vous ne voudrez pas que ces hommes reviennent triomphants dans leur commune, d'une main tenant la tête de Paul-François, et de l'autre, une déclaration d'innocence émanée de vous. Ratifiez donc l'anathème lancé par une population tout entière contre les grands coupables, jetés sans doute par le ciel sur la terre dans un jour de colère et de malédiction, et que vos éternelles destinées soient un jour pesées avec la même justice que vous pèserez aujourd'hui celles de Michel et de Charles-François Bonetti."

       

      Ce réquisitoire, qui a duré trois heures a produit sur l'auditoire et les jurés une profonde impression.

       

      La défense était confiée à MM. Caraffa et Suzzoni. Leurs efforts n'ont pu sauver les accusés.

       

       Au bout d'une heure de délibération, les jurés, l'air morne et abattu, rentrent dans la salle. Le chef du jury, d'une voix émue, fuit sur toutes les questions une déclaration affirmative, par suite de laquelle les deux accusés sont condamnés à la peine de mort. Ils ont entendu l'arrêt avec impassibilité.

       

      Cette peine de mort fut ensuite commuée en travaux forcés.

       

      Charles François Bonetti décède en 1836 à l'hôpital de bagne de Toulon.

      Michel Bonetti décède en 1837 à l'hôpital de bagne de Toulon.

       

       

       

         

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